PERISCOPE 31: Le pari inédit du M 23

Par Moustapha Sarr Diagne

Demain sera l'heure de vérité pour le M 23. C'est à l'Hôtel Téranga que les initiateurs de ce mouvement né dans le sillage des manifestations du 23 juin vont entamer leur campagne pour l'invalidation de la candidature du Président Abdoulaye Wade. Ce sera pour le mouvement un test en grandeur réelle. Pour deux raisons.

La première, c'est que l'occasion sera donnée pour mesurer la popularité de ce mouvement. Si le nombre de participants à la rencontre sera déterminant, ce ne sera cependant qu'un paramètre dans l'estimation de l'ancrage du M23 au sein de la société sénégalaise. C'est plutôt du point de vue de la qualité de la participation à cette rencontre que l'appréciation s'orientera. Au regard de la palette de ceux qui seront présents, on pourra effectivement jauger la profondeur de la pénétration du mouvement au sein de la société sénégalaise. Il est évident que plus le M 23 embrassera des couches sociales au-delà de son traditionnel bassin que constituent les organisations de la société civile et les partis de l'opposition, plus elle aura des chances de se faire entendre. Plus sera pertinente son action.

Le second aspect de ce test résidera dans la capacité du mouvement à formuler des initiatives en vue de la réalisation de son objectif. Le M 23 s'est donné une fin inédite dans l'histoire politique du Sénégal : contraindre un candidat à l'élection présidentielle à ne figurer sur la ligne de départ. Comment réussir un tel objectif ? Le pari est tellement neuf qu'il faudra des capacités d'imagination extraordinaires pour le réaliser. Bien entendu, dans l'histoire de l'évolution des sociétés politiques, il est souvent arrivé que des solutions novatrices apparaissent à des moments où personne ne pouvait les imaginer. Un grand penseur ne disait-il pas qu'à l'humanité ne se posent que des questions qu'elle peut résoudre. Si le M 23 se met à l'esprit qu'il n'existe pas de problème sans solution et qu'il suffit de chercher pour la trouver, elle aura fait un grand pas vers la réalisation de son but. C'est donc dire que le M 23 sera jugé sur la qualité des propositions qui émaneront de cette rencontre.

Cependant, il convient de faire une remarque sur la nature de ce mouvement d'un genre particulier. Surgi sur la scène politique à la faveur de l'exceptionnelle mobilisation du 23 juin, le M 23 est un type d'organisation bien particulier. Se trouvant à la lisière des partis politiques, des organisations de la société civile, des associations traditionnelles et de regroupements d'individus pris intrinsèquement comme tels, il a été mis en place dans le feu de l'action contre la modification de la constitution. L'histoire des mouvements démocratiques fourmillent d'exemples de ce type où la maturation d'un processus a abouti à la formation d'organisations de facture nouvelle. Plus près de nous, le printemps arabe nous donne l'exemple d'organisations de ce nature dans un contexte fort différents de celui que nous vivons il est vrai. D'ailleurs, il faut reprocher à ces organisations tunisiennes ou égyptiennes de n'avoir pas su mener jusqu'au bout leurs actions, ce qui fait que ces pays donnent l'impression de pédaler dans la farine aujourd'hui, que les mouvements islamiques engrangent aujourd'hui les résultats de l'actions du mouvement démocratique.

Aussi, le plus grand défi qui va se poser au M 23 sera celui de sa capacité à orienter l'action collective. Deux pièges lui sont tendus sous ses pas. Le premier est celui de la récupération par les politiques traditionnels. Le M 23, s'il veut rester crédible et pertinent, devra conserver jalousement son autonomie et sa liberté d'action, même par rapport aux organisations qui sont en son sein. Le second est celui de la violence. Ce ne sera que prétexte pour verser le mouvement dans l'illégalité... et dans l'absence d'efficience. Certains auront beau jeu de railler le rêve fou de ses initiateurs.